Veuillez sélectionner votre région et votre langue pour continuer :
Please select your region and language to continue:
We use cookies
Respecting your privacy is important to us. We use cookies to personalize our content and your digital experience. Their use is also useful to us for statistical and marketing purposes. Some cookies are collected with your consent. If you would like to know more about cookies, how to prevent their installation and change your browser settings, click here.
Voici le premier volet de notre série de rapports de recherche sur la carboneutralité, qui présente les points de vue de notre comité des changements climatiques. La série couvrira divers thèmes, à commencer par ceux du fondement scientifique des changements climatiques, des principales sources d’émissions et des solutions possibles pour atténuer le réchauffement de la planète. Nous explorerons les concepts et les répercussions de la transition vers un monde mettant en équilibre les émissions de gaz à effet de serre et leur suppression ou leur élimination, avant de vous faire part des conclusions qui influencent directement notre analyse des placements et notre stratégie de portefeuille.
Notre comité des changements climatiques intervient activement pour cerner les risques et les occasions de placement découlant des changements climatiques, tant au niveau de nos portefeuilles qu’à l’échelle des marchés des capitaux. Formé d’un sous-groupe représentatif de nos gestionnaires de portefeuille et de nos professionnels des placements, il analyse des scénarios de changements climatiques. Dans ce contexte, il se penche sur les changements physiques qui pourraient survenir à travers le monde et leurs répercussions sur la conjoncture macroéconomique, les politiques gouvernementales, les règlements et la dynamique des industries et des secteurs d’activité, ainsi que le rendement des différentes sociétés.
Notre rôle, en tant que gestionnaire de placement, comporte plusieurs facettes. D’un côté, nous entendons participer à la lutte contre le réchauffement climatique en intervenant auprès des entreprises et être à l’avant-garde de l’investissement socialement responsable. De l’autre, nous devons rester perspicaces et bien comprendre les conséquences économiques, scientifiques, sociales et politiques de la transition vers une économie à plus faibles émissions de carbone, tout en respectant notre obligation fiduciaire de veiller à ce que vos placements produisent des rendements durables.
Dans ce premier rapport, nous poserons les jalons de la série en analysant le fondement scientifique des changements climatiques, les sources d’émissions, les répercussions physiques potentielles des changements climatiques et les voies envisageables pour atteindre un scénario de carboneutralité.
Faits saillants
Pour comprendre les changements climatiques, il faut se pencher sur l’élément moteur sous-jacent. Autrement dit, sur l’effet de serre, soit le réchauffement naturel de la Terre qui se produit lorsque les gaz présents dans l’atmosphère retiennent la chaleur du soleil qui s’échapperait autrement dans l’espace[i]. Conformément aux principes fondamentaux de la physique, environ 30 % de l’énergie solaire dirigée vers la Terre est renvoyée dans l’espace par les nuages, les particules atmosphériques et les surfaces réfléchissantes (comme la neige et la glace), les 70 % restant étant absorbés par la terre, les océans et l’atmosphère. L’énergie absorbée réchauffe la planète, mais elle est également réémise par la Terre sous forme de lumière infrarouge. Ces rayons infrarouges poursuivent en partie leur trajectoire dans l’espace. Toutefois, les gaz à effet de serre (GES) (comme le dioxyde de carbone, le méthane et l’oxyde nitreux) en captent jusqu’à 90 %, qui sont redirigés vers la Terre et son atmosphère. Plus la concentration de GES dans l’atmosphère est élevée, plus il est difficile pour l’énergie de s’échapper. C’est ce qui provoque le réchauffement climatique[ii].
La concentration de GES dans l’atmosphère terrestre tournait autour de 200 à 280 parties par million (ppm) (soit 200 molécules de gaz par million de molécules d’air) pendant la majeure partie des 800 000 dernières années[iii]. Au cours du seul siècle dernier, elle a bondi et dépassé 400 ppm. La concentration accrue de GES a retenu davantage de chaleur dans l’atmosphère terrestre, ce qui a fait grimper les températures mondiales[iv]. Plus la concentration de GES est élevée, plus cet effet s’intensifie au fil du temps. Les scientifiques estiment que les températures moyennes ont augmenté d’environ 1,07 °C à travers le monde depuis l’ère préindustrielle (1850-1900). L’écart a beau sembler modeste, les modélisations du climat font ressortir que des changements de petite envergure sont suffisants pour induire des transformations à long terme du climat de la Terre. L’énergie supplémentaire introduite dans le système climatique accroît en outre l’instabilité des conditions météorologiques et l’intensité des phénomènes extrêmes. Ce processus n’est pas immédiat, il se déroule sur plusieurs décennies, et les températures continueront d’augmenter jusqu’au milieu du siècle sous l’effet des GES que nous émettons actuellement.
À l’issue de plusieurs décennies d’étude de cette relation complexe, la communauté scientifique internationale est parvenue à un consensus : les activités humaines sont à l’origine du réchauffement planétaire. Le sixième Rapport d’évaluation (RE6) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies, publié en août 2021, synthétise plus de 14 000 articles scientifiques émanant des plus éminents climatologues de la planète. Il conclut que, sans équivoque, l’influence humaine a réchauffé la planète, les océans et les terres et que le réchauffement observé est induit par les émissions provenant des activités humaines. La faute étant principalement imputable aux émissions de dioxyde de carbone (CO2) qui s’échappent dans l’atmosphère en raison de la combustion de carburants fossiles (charbon, pétrole et gaz), et aux émissions de méthane et d’oxyde nitreux provenant d’autres activités.
Les causes principales des émissions de GES sont omniprésentes dans notre mode de vie actuel. Elles font partie intégrante de la façon dont nous alimentons en énergie nos habitations et nos entreprises, dont nous fabriquons des produits, construisons des infrastructures, cultivons nos aliments et nous déplaçons. La production d’énergie et de chaleur est, de loin, la principale source d’émissions de GES dans le monde (graphique 3). Bon nombre de pays en développement brûlent encore du charbon pour subvenir à leurs besoins énergétiques. Selon l’AIE, en 2019, la Chine et l’Inde dépendaient du charbon pour respectivement 61 % et 71 % de leurs besoins énergétiques totaux.
Il est indéniable que les émissions sont intrinsèquement liées à notre mode de vie et ont une incidence sur le climat. Reste à déterminer à partir de quel niveau elles deviennent excessives?
Faits saillants
Lorsque l’on a commencé à parler de réchauffement climatique, dans les années 1970, les scientifiques ont tenté de comprendre les effets néfastes que cela pourrait avoir à long terme. Selon leurs hypothèses, une hausse de plus de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels créerait des conditions jamais connues par la civilisation humaine[v] et entraînerait probablement des variations des conditions climatiques dépassant largement les cycles annuels habituels. La communauté scientifique élargie a adopté le scénario d’une hausse de 2 °C pour analyser les changements climatiques, et c’est le seuil qu’elle utilise depuis lors. Les améliorations apportées dans le domaine de la modélisation du climat au cours des cinquante dernières années ont confirmé qu’une hausse de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels aurait des effets néfastes à long terme sur le climat et les écosystèmes.
Une étude spéciale des Nations Unies datant de 2015 a fait ressortir qu’il conviendrait mieux de cibler un seuil de 1,5 °C. Elle a montré que la relation entre l’augmentation de la température mondiale moyenne et les effets néfastes des changements climatiques n’était pas linéaire. Ainsi, un écart de 1,5 degré entraînerait des répercussions nettement moins négatives sur la planète qu’un écart de 2 degrés.
La communauté internationale et les chefs d’entreprise se sont donc engagés à maintenir les températures mondiales moyennes en dessous du seuil de 2 °C et, idéalement, à cibler plus rigoureusement 1,5 °C. Ces objectifs de température sont aujourd’hui largement acceptés et servent de guide aux organismes pour élaborer des plans en vue d’atténuer les effets déjà considérables du réchauffement climatique.
Il existe un outil permettant de comprendre quand nous risquons de dépasser ces seuils de température : le « budget carbone » (ou bilan carbone). Le budget carbone se définit comme étant la quantité cumulée d’émissions de CO2 acceptable sur une période donnée pour rester en dessous d’une température donnée [vi]. Il s’agit, autrement dit, d’une façon simplifiée de mesurer les émissions supplémentaires qui peuvent pénétrer dans l’atmosphère si l’on souhaite limiter le réchauffement climatique à un niveau donné, comme 1,5 °C [vii].
Les émissions mondiales de GES sont en constante hausse depuis 30 ans (graphique 4). En 2018, elles atteignaient 48,9 gigatonnes (Gt) d’équivalent de CO2 par an. Le GIEC des Nations Unies estime que, pour que la hausse des températures mondiales reste inférieure à 2 °C, avec une probabilité de succès de 67 %, nous disposons d’environ 1150 Gt de CO2 dans le budget carbone. En supposant que le niveau des émissions continue à croître au même rythme qu’au cours de la dernière décennie, soit d’environ 1 % par an, nous épuiserions le budget carbone en 20 ans environ. Si l’on cible un objectif plus strict de 1,5 °C, il ne reste que 400 Gt de CO2 dans le budget carbone, qui serait donc épuisé dans à peine sept ans (tableau 2).
Il est peu probable que les émissions mondiales continuent d’augmenter de manière linéaire. Le niveau des émissions fluctuera au fil du temps en fonction des réactions ou de l’absence de réaction des humains pour lutter contre les changements climatiques. Le récent rapport RE6 du GIEC présente des scénarios appelés « trajectoires socio-économiques partagées » (Shared Socioeconomic Pathways, ou SSP), qui permettent aux scientifiques d’intégrer des hypothèses socio-économiques aux résultats des modèles de changement climatique et aux prévisions relatives aux changements de température futurs. Ces hypothèses couvrent le degré de coordination internationale, l’évolution de la consommation d’énergie et l’adoption de mesures de réduction des émissions.
Il faut cependant noter que ces scénarios SSP ne produisent que des résultats approximatifs. Les conditions socio-économiques, par exemple, peuvent changer au fil du temps et il est actuellement impossible d’en tenir pleinement compte dans les hypothèses de modélisation. Ils peuvent néanmoins nous fournir des informations sur les tendances qui viennent améliorer notre analyse. Le Tableau 3 présente chaque scénario SSP, accompagné d’une estimation respective de l’augmentation prévue de la température mondiale.
Il est intéressant de noter que selon le scénario SSP1, dans lequel l’engagement en faveur de la réduction des émissions est le plus fort, la température devrait monter d’environ 1,6 °C d’ici la période allant de 2041 à 2060. Cette hausse dépasse déjà le seuil de 1,5 °C établi dans l’Accord de Paris en 2015. D’un autre côté, le scénario SSP5 d’une prolifération de l’utilisation des combustibles fossiles laisse présager une hausse de la température de l’ordre de 2,4 °C d’ici à 2041-2060. Le rapport RE6 explique en fait que, dans tous les scénarios analysés, le seuil de 1,5 °C sera franchi au début des années 2030, d’après l’estimation centrale.
Cela dit, les scénarios et les études scientifiques sous-jacentes démontrent également que la réduction des émissions permettrait de stabiliser, voire de réduire, les températures mondiales moyennes à plus long terme, et qu’elle pourrait en définitive les ramener sous la barre de 1,5 ou 2,0 °C.
L’analyse de la trajectoire la plus probable nous laisse penser qu’à moins d’un changement inattendu et spectaculaire des conditions socio-économiques, la réalisation d’un scénario tel que le SSP5 (tableau 3) – caractérisé par une accélération de l’utilisation des combustibles fossiles – est peu plausible. La pression internationale, l’intérêt public et la mise en œuvre de lois et de règlements pour lutter contre l’augmentation des émissions sont considérables à l’heure actuelle. Des efforts de réduction des émissions sont déjà en cours, comme en témoignent le remplacement de centrales électriques à combustion fossile par des énergies renouvelables, l’émergence de véhicules électriques, la mise en place de systèmes d’établissement du prix et d’échange du carbone et la signature d’accords internationaux pour lutter contre les émissions futures. Nous pensons que ces efforts se poursuivront et s’intensifieront.
Cela dit, un scénario comme le SSP1 – marqué par l’acceptation générale de mesures immédiates et coordonnées de réduction des émissions – est aussi moins crédible. Nous n’insinuons pas que les efforts pour réduire les émissions sont trop modestes ou que le momentum tarde à se faire sentir, mais nous pensons que le processus sera sans doute plus lent que ne le prévoit le scénario SSP1. L’utilisation de combustibles fossiles, comme le pétrole, est inextricablement liée à notre mode de vie et une réduction des émissions mondiales de GES de 45 % d’ici à 2030, comme le prévoit le SSP1, perturberait trop l’économie mondiale. Notre rapport sur le sujet intitulé « Le climat change. L’ère des véhicules électriques est à nos portes. Devrions-nous encore investir dans le pétrole? » offre une analyse approfondie des défis à relever pour nous sevrer des combustibles fossiles.
En outre, la coordination internationale est lente à s’organiser. Les États n’ont clairement pas tous la même volonté ou capacité de s’attaquer aux changements climatiques. Bon nombre de pays émergents dépendent encore largement du charbon pour leur production énergétique et de processus émettant des volumes importants de GES, comme la production d’acier et de ciment, l’industrie manufacturière et l’agriculture, pour améliorer la qualité de vie de leurs citoyens. Les débats qui ont eu lieu récemment lors de sommets, notamment à la COP 26 (26e Conférence des parties), soulignent que les pays en développement ne peuvent pas (et ne veulent pas) assumer le coût de l’atténuation des changements climatiques causés, en définitive, par les émissions antérieures des pays développés. Or, les pays développés mettent du temps à apporter une aide financière.
Selon nous, le scénario probable se situe quelque part entre les scénarios SSP2 et SSP4, les efforts de réduction des émissions se poursuivant, mais le mouvement s’amplifiant plus lentement. Les scénarios étudiés laissent présager que les températures franchiront le seuil de 1,5 °C au cours des cinquante prochaines années. Ensuite, les parcours suivis pour réduire les émissions de chaque source, le degré de coordination internationale et la capacité des pays émergents à réduire leurs émissions tout en poursuivant leur croissance seront déterminants pour pouvoir ramener la température en dessous de ces seuils. Dans notre série de rapports de recherche sur la carboneutralité, nous avons l’intention d’analyser en profondeur chaque source d’émissions, les stratégies potentielles d’atténuation des émissions et le rythme auquel ces stratégies pourraient être mises en œuvre.
Deux questions se posent, au vu des scénarios d’avenir susmentionnés : quelles transformations physiques induira la hausse des températures mondiales moyennes à travers le monde? Et y a-t-il lieu de s’inquiéter?
Les préoccupations relatives aux changements climatiques sont couramment rebuffées par l’argument selon lequel, au cours de ses 4,5 milliards d’années d’existence, la Terre a connu des périodes durant lesquelles la concentration de CO2 dans l’atmosphère et les températures mondiales moyennes dépassaient celles prévues par les scénarios SSP. La vie a suivi son cours et a même prospéré, et le climat est resté relativement stable pendant de longs intervalles de temps. Pourquoi faudrait-il donc consacrer des efforts et des ressources considérables à la lutte contre les changements climatiques alors que la Terre a déjà connu de telles conditions auparavant? Pouvons-nous simplement nous y adapter?
Nous avons beau admettre que la concentration de CO2 et les températures ont été plus élevées durant certaines périodes que ce que laissent présager les projections climatiques, cependant la vitesse à laquelle évoluent les choses est fort différente. Dans le passé, le climat a évolué sur des centaines de milliers, voire des millions d’années. Les écosystèmes ont donc eu largement le temps de s’adapter. Aujourd’hui, nous observons une transformation des conditions qui s’est considérablement accélérée en l’espace d’à peine deux siècles. D’un point de vue géologique, c’est presque instantané et la nature a peu de temps pour s’adapter. Par le passé, des changements aussi brusques ont causé un stress extrême sur les écosystèmes, voire l’extinction de certaines espèces. Par conséquent, la transition actuelle sera probablement plus excessive que les précédentes; elle s’accompagnera de changements extrêmes et d’effets néfastes plus fréquents et plus perturbateurs pour les écosystèmes de la Terre.
Les modélisations du climat donnent une idée des changements physiques possibles ainsi que de la fréquence et de l’intensité des phénomènes climatiques extrêmes qui accompagneront la montée des températures mondiales moyennes. Nous présentons certains des résultats modélisés dans les tableaux 4, 5 et 6, mais il ne s’agit nullement d’une liste exhaustive. Notez bien que les résultats de la modélisation des changements climatiques sont toujours exprimés en termes de fourchettes, et que le tableau présente les meilleures estimations à des fins d’illustration.
Si les effets d’une hausse de 4 °C semblent catastrophiques, nous ne nous attendons pas à ce que les températures atteignent ces niveaux, qui correspondraient à un scénario comparable au SSP5 décrit précédemment. Cependant, les conséquences des phénomènes qui surviendraient si les températures augmentaient de 2 °C, ou même de 1,5 °C, demeurent préoccupantes et nous semblent probables dans notre scénario de base.
Les canicules peuvent causer des incendies plus nombreux, une dégradation des écosystèmes marins et terrestres et des risques pour la santé humaine. Les précipitations abondantes plus fréquentes créeraient un risque accru d’inondations, de glissements de terrain et de coulées de boue, ainsi que la prolifération d’agents pathogènes d’origine hydrique. La sécheresse causerait un stress aux cultures et aux écosystèmes, et des problèmes d’approvisionnement en eau. Il pourrait s’ensuivre des mouvements migratoires humains, des inquiétudes pour la sécurité alimentaire et de l’eau, des risques pour les infrastructures et un effondrement potentiel des écosystèmes.
1 – Tebaldi, C. & Lobell, D. (2018) Differences, or lack thereof, in wheat and maize yields under three low-warming scenarios, Environmental Research Letters. Données fournies par Claudia Tebaldi du National Center for Atmospheric Research.
2 – Aerenson, T. et al. (2018) Changes in a suite of indicators of extreme temperature and precipitation under 1.5 and 2 degrees warming, Environmental Research Letters. Données fournies par Claudia Tebaldi du National Center for Atmospheric Research.
3 – Huang, J. et al. (2017) Drylands face potential threat under 2C global warming target, Nature Climate Change. Données fournies par Jianping Huang de l’Université de Lanzhou.
4 – Naumann, G. et al. (2018) Global Changes in Drought Conditions Under Different Levels of Warming, Geophysical Research Letters.
5 – Liu, W. et al. (2018) Global Freshwater availability below normal conditions and population impact under 1.5C and 2C stabilization scenarios, Geophysical Research Letters.
6 – Liu, W. et al. (2018) Global drought and severe drought-Affected populations in 1.5 and 2C warmer worlds, Earth System Dynamics.
7 – Warren, R. et al. (2018) The projected effect on insects, vertebrates, and plants of limiting global warming to 1.5C rather than 2C, Science.
8 – Huang, J. et al. (2017) Drylands face potential threat under 2C global warming target, Nature Climate Change. Données fournies par Jianping Huang de l’Université de Lanzhou.
Les phénomènes météorologiques extrêmes peuvent avoir de graves répercussions sur les écosystèmes, les populations et les économies régionales si les précautions nécessaires n’ont pas été prises. Nous pensons, dans une certaine mesure, qu’il est possible de s’adapter à ces conditions par le biais de certaines solutions, comme des cultures résistantes à la sécheresse, la construction d’infrastructures de contrôle des eaux et d’approvisionnement en eau, l’amélioration des soins de santé et la relocalisation ou la migration des communautés vers des zones moins touchées. Mais comme nous l’avons décrit plus haut, ces phénomènes seront sans doute imprévisibles et notre analyse des placements doit tenir compte de la probabilité accrue qu’ils surviennent.
La hausse des températures et les phénomènes météorologiques extrêmes ne toucheront pas uniformément l’ensemble de la planète. Les températures augmenteront généralement plus rapidement sur terre que dans l’océan. Les régions plus proches des pôles connaîtront des hausses supérieures à la moyenne en raison d’un phénomène connu sous le nom d’amplification arctique, par lequel la fonte des glaces, réfléchissantes, fait place à l’eau et à la terre. Or, celles-ci réfléchissent moins la lumière et absorbent plus facilement la chaleur, ce qui intensifie le réchauffement. On estime que, dans la région arctique, l’augmentation sera environ deux fois supérieure à la moyenne mondiale, ce qui laisse augurer une fonte accélérée de la nappe glaciaire, du manteau neigeux et du pergélisol. La fonte des glaciers au Groenland et dans l’Antarctique, par exemple, devrait faire monter le niveau moyen des mers au cours du prochain siècle. Le rythme et l’ampleur de l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale varieront en fonction des SSP (graphique 6), les températures plus élevées accélérant le processus.
L’effet d’inertie de la hausse du niveau des mers devrait perdurer pendant les deux prochains millénaires et est difficile à inverser. Dans un scénario de réchauffement de 2 degrés, on estime que le niveau moyen mondial de la mer augmentera de 2 à 6 mètres au cours des deux prochains millénaires. Si l’utilisation des combustibles fossiles prolifère, comme le prévoit le scénario SSP5, on estime que le niveau des mers atteindra 19 à 22 mètres sur la même période. Cela équivaut à la hauteur d’un immeuble de 5 étages. Inévitablement, cela exercerait une influence significative sur les lignes côtières mondiales.
L’élévation du niveau des mers est un processus relativement lent, qui s’étale sur plusieurs siècles. Certaines régions auront donc le temps de s’adapter par le biais de solutions fondées sur le déplacement des populations ou les infrastructures. Les petites nations insulaires seront toutefois plus durement frappées et les régions côtières souffriront davantage de l’accroissement des ondes de tempête. Si nous ne réagissons pas face à la montée du niveau des eaux, les dommages annuels causés par les inondations pourraient, selon les estimations, atteindre 11,7 billions de dollars d’ici 2100 dans un scénario de réchauffement de 2 degrés [viii]. L’élévation du niveau des mers exigera probablement la construction d’infrastructures permettant d’atténuer les inondations et le déplacement des populations côtières au cours des 50 prochaines années. À plus long terme, plusieurs générations verront une volatilité accrue des conditions météorologiques côtières et un déplacement des littoraux mondiaux, et nous pensons que ces facteurs doivent devenir une partie intégrante de l’évaluation des risques à long terme pour les entreprises ayant des activités dans les régions côtières.
L’océan est un maillon essentiel des systèmes météorologiques mondiaux tant pour la vie marine que pour le cycle du carbone de la Terre. On estime que l’océan a absorbé entre 30 et 50 % des émissions de CO2 depuis l’ère préindustrielle. Mais l’absorption d’une quantité croissante de CO2 le rend plus acide, ce qui perturbe la vie marine, en affectant plus particulièrement les mollusques et les coraux, par exemple, qui dépendent des biostructures carbonatées. L’élévation de la température de l’eau entraîne par ailleurs une désoxygénation; l’eau contient moins d’oxygène nécessaire à la vie marine. Le réchauffement des océans réduit aussi leur capacité d’absorption du carbone, ce qui laisse davantage de CO2 dans l’atmosphère et accélère encore l’effet de serre. Ces effets dépassent vraisemblablement nos capacités d’adaptation et ce n’est qu’en réduisant les émissions que nous pourrons les ralentir ou les éviter.
Le défi a beau sembler colossal, mais nous pensons qu’il existe des solutions au problème. Les auteurs du rapport RE6 sont optimistes et avancent qu’il n’est pas trop tard. Ils affirment que la réduction des émissions à court terme est une étape importante et que le rapport (RE6) confirme réellement, de manière scientifique et solide, que la carboneutralité permet de stabiliser, voire de réduire, les températures de surface [ix].
Faits saillants
L’environnement des « changements climatiques » change lui aussi. L’humanité se rend compte du problème, crée des solutions et le mouvement vers la carboneutralité s’amplifie. En 2015, 196 parties se sont engagées à respecter les engagements juridiquement contraignants souscrits dans l’Accord de Paris, soit à maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C, en ciblant idéalement 1,5 °C, par rapport aux niveaux préindustriels. Des dizaines de politiques ont été mises en place pour limiter l’utilisation de combustibles fossiles et faciliter la transition vers des économies à faible émission de carbone et la communauté internationale continue de chercher des solutions. Récemment, la COP26 (26e Conférence des parties) à laquelle ont participé des représentants et des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a abouti au Pacte de Glasgow pour le climat. Cet accord prévoit que les États revoient leurs engagements par rapport au climat d’ici la fin de 2022, et les invite à renforcer leurs politiques, à réduire progressivement leur consommation de charbon et à accroître le financement pour lutter contre les changements climatiques.
Les entreprises établissent leurs propres objectifs et engagements en matière d’émissions de carbone en vue d’atteindre la carboneutralité au cours des prochaines décennies. Des enquêtes réalisées par l’Energy & Climate Intelligence Unit et l’Université d’Oxford ont fait ressortir que 21 % des 2 000 plus grandes entreprises mondiales se sont engagées à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Les enquêtes montrent également que les engagements pris par des pays et des entreprises pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 représentent 61 % des émissions mondiales de GES, 60 % du PIB mondial (à parité de pouvoir d’achat) et 56 % de la population mondiale. Bien que nombre de ces engagements fassent l’objet de discussions ou soient en cours de mise au point et n’aient pas encore été consacrés par la loi, la reconnaissance du problème et l’engagement à trouver une solution marquent un grand pas en avant.
Tandis qu’une multitude d’organismes, d’États et d’entreprises s’engagent à atteindre la carboneutralité, il est essentiel de bien comprendre de quoi il s’agit. Naturellement, nous sommes en faveur des efforts mondiaux visant à réduire les émissions à travers le monde. Mais l’un des grands objectifs de cette série est de cerner les répercussions de l’engagement à atteindre la carboneutralité. De quoi s’agit-il, en pratique? Comment y parviendrons-nous? Et comment faire, en tant qu’investisseurs, pour relever les défis et saisir les occasions liées à la transition? La carboneutralité n’est pas synonyme d’absence d’émissions. En pratique, pour atteindre cet objectif, il faut commencer par réduire les émissions autant que possible, puis compenser le solde au moyen de techniques d’élimination du carbone.
La réduction des émissions devra se faire de trois manières :
Il faudra, à cet effet, transformer fondamentalement notre mode de notre vie au quotidien et le mode de fonctionnement des industries mondiales. Les exigences technologiques, les infrastructures et les conditions économiques requises varieront considérablement d’un secteur et d’une région à l’autre. Il faudra modifier ou remettre au point tous les processus sous-jacents des sources d’émissions susmentionnées (tableau 1), qui sont étroitement connectées les unes avec les autres. Par exemple, nous observons actuellement une transition des véhicules à moteur à combustion interne (MCI) vers les véhicules électriques (VE). Cela permet de réduire les émissions directes liées au fonctionnement des véhicules. Mais pour réellement progresser vers la carboneutralité, il faudra que l’électricité qui alimente les véhicules électriques provienne aussi de sources à émissions faibles, voire nulles. De plus, les processus d’extraction des ressources naturelles, les procédés de fabrication et la chaîne d’approvisionnement en amont de la commercialisation des véhicules électriques devront également être adaptés pour produire des émissions faibles, voire nulles. Il ne s’agit pas simplement d’échanger un véhicule contre un autre. La tâche est bien plus complexe et exigera la reconfiguration de l’ensemble des industries mondiales. Cela prendra sans doute beaucoup de temps et de ressources. McKinsey estime qu’il en coûtera 275 000 milliards de dollars[x], soit l’équivalent de trois fois le PIB mondial de 2019, pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Du point de vue des placements, l’expertise sectorielle sera essentielle pour comprendre la capacité de transition et quels secteurs répondront à des défis distincts ou présenteront des opportunités intéressantes.
La deuxième étape, pour atteindre la carboneutralité, consiste à compenser les émissions restantes au moyen de techniques d’élimination du carbone, comme le reboisement et les capacités de captage, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC). Ces techniques devront être déployées sur une échelle qui dépendra largement de la capacité à réduire les émissions en premier lieu.
Le reboisement consiste à planter de nouveaux arbres qui extrairont le CO2 de l’atmosphère et le transformeront en biomasse. D’importants débats se poursuivent au sein de la communauté scientifique à propos de la viabilité à long terme des forêts aux fins du stockage du carbone. Certaines études prometteuses laissent toutefois penser que la reforestation est une technique peu coûteuse et relativement simple pour extraire le carbone de l’atmosphère.
Le CUSC consiste, globalement, à capter les émissions à la source, ou directement dans l’air, pour les transporter vers des réservoirs où elles peuvent être stockées indéfiniment. Ces réservoirs seront probablement des formations géologiques souterraines, comme des aquifères salins profonds ou de la roche basaltique, où le CO2 se transforme en minéraux et demeure inerte. Les applications commerciales de cette méthode n’en sont encore qu’à un stade embryonnaire, surtout si l’on considère l’échelle à laquelle elle devrait être déployée pour atteindre l’objectif mondial de carboneutralité. En effet, selon les estimations de McKinsey et de l’AIE, il faudrait pouvoir capter environ 5 à 10 milliards de tonnes de CO2 par an, voire plus. Ce domaine fait l’objet d’investissements et de recherches considérables, car il est jugé indispensable pour parvenir à la carboneutralité.
Il n’existe pas de solution globale pour atteindre la carboneutralité. Chaque source d’émissions aura son propre lot de défis et le paysage technologique évoluera constamment au cours des prochaines décennies, à mesure que l’humanité déploiera son ingéniosité. En tant qu’investisseur, il est important de tester la viabilité de chaque avenue et de chaque résultat dans des limites raisonnables afin que nous puissions identifier les meilleures opportunités et les plus grands risques auxquels nous serons confrontés au cours de cette longue transition. À nos yeux, l’expertise sectorielle demeure fondamentale pour comprendre comment la transition pourrait se dérouler dans chaque secteur économique. Nous restons aussi persuadés qu’il est indispensable de s’engager activement auprès des entreprises, des parties prenantes et des associations industrielles pour comprendre et favoriser la mise en place de plans permettant une transition durable et juste.
La difficile et incontestable réalité est que les émissions engendrées par les activités humaines provoquent des changements climatiques à long terme. Ces changements se traduiront probablement par une perturbation généralisée des écosystèmes de la planète d’ici la fin du siècle, au détriment des populations humaines. Les perspectives ont beau sembler alarmantes, nous disposons de solutions permettant d’atténuer les effets des changements climatiques et d’avancer vers la carboneutralité à l’échelle mondiale.
Les efforts pour atteindre la carboneutralité sont importants et ont pris beaucoup d’ampleur. Il nous faudra plusieurs décennies pour atténuer les principaux effets des changements climatiques. L’atteinte de la carboneutralité exige plus qu’un simple engagement. Nous avons beaucoup de travail à accomplir, en suivant des parcours complexes et dynamiques.
Dans la série de rapports sur la carboneutralité, nous poursuivrons l’examen approfondi de chaque grande source d’émissions. Nous nous appuierons sur l’expertise sectorielle de notre équipe pour explorer les techniques actuelles de réduction des émissions, ainsi que les nouvelles technologies en cours de développement. Nous évaluerons s’il est possible de parvenir à la carboneutralité dans chaque secteur et nous mettrons l’emphase sur les principales lacunes des capacités de réduction des émissions. Nous vous invitons à suivre avec nous ce parcours, au fil duquel nous intégrerons ces connaissances à notre analyse des placements et à notre stratégie de portefeuille.
[i] Denchak, M. (23 juillet 2019). Greenhouse effect 101. NRDC. Consulté en décembre 2021, à l’adresse https://www.nrdc.org/stories/greenhouse-effect-101#whatis
[ii] Denchak, M. (23 juillet 2019). Greenhouse effect 101. NRDC. Consulté en décembre 2021, à l’adresse https://www.nrdc.org/stories/greenhouse-effect-101#whatis
[iii] Denchak, M. (23 juillet 2019). Greenhouse effect 101. NRDC. Consulté en décembre 2021, à l’adresse https://www.nrdc.org/stories/greenhouse-effect-101#whatis
[iv] Denchak, M. (23 juillet 2019). Greenhouse effect 101. NRDC. Consulté en décembre 2021, à l’adresse https://www.nrdc.org/stories/greenhouse-effect-101#whatis
[v] Nordhaus, W.D. « Strategies for the Control of Carbon Dioxide. » Cowles Foundation Discussion Papers No. 443, Cowles Foundation for Research in Economics, Yale University, 1977.
[vi] Sussams, L. (29 mai 2020). Carbon Budgets explained. Carbon Tracker Initiative. Consulté en décembre 2021, à l’adresse https://carbontracker.org/carbon-budgets-explained/
[vii] GIEC, 2021 : Résumé à l’intention des décideurs. Dans : Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution du groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [V. Masson-Delmotte, P. Zhai, A. Pirani, S. L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M. I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J. B. R. Matthews, T. K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu et B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press. À l’impression.
[viii] Jevrejeva, S. et al. (2018) Flood damage costs under the sea level rise with warming of 1.5C and 2C, Environmental Research Letters.
[ix] GIEC, 2021 : Résumé à l’intention des décideurs. Dans : Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution du groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [V. Masson-Delmotte, P. Zhai, A. Pirani, S. L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M. I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J. B. R. Matthews, T. K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu et B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press. À l’impression.
[x] McKinsey Global Institute, The Net-Zero Transition: What it would cost, what it could bring, janvier 2022
Les informations et opinions contenues dans les présentes sont fournies à titre indicatif seulement, sont sujettes à changement et ne visent pas à fournir des conseils d’ordre comptable, juridique ou fiscal, ni des recommandations en matière de placement, et ne doivent pas être utilisées comme tel. Les sociétés mentionnées sont à titre indicatif uniquement et ne sont pas considérées comme une recommandation d’achat ou de vente. Il ne faut pas supposer qu’un investissement dans ces entreprises était ou serait rentable. À moins d’indication contraire, les renseignements sont présentés aux dates indiquées. Bien que ces renseignements soient considérés comme exacts à la date où ils ont été préparés, Letko, Brosseau & Associés Inc. ne peut garantir qu’ils sont exacts, complets et à jour en tout temps.
Lorsque les renseignements proviennent ou sont dérivés de sources externes, les sources sont considérées comme fiables, mais la société n’en a pas effectué une vérification indépendante. Aucune représentation ou garantie n’est fournie quant à l’exactitude, à l’exhaustivité ou à la fiabilité de ces renseignements. Les opinions ou estimations présentées constituent notre jugement à cette date et sont modifiables sans préavis.
Les présentes peuvent contenir certaines déclarations prospectives qui reflètent nos attentes actuelles ou prévisions quant à des événements futurs concernant l’économie, les changements du marché et ses tendances. De par leur nature, les énoncés prospectifs sont assujettis, entre autres, à des risques, à des incertitudes et à des hypothèses concernant les devises, la croissance économique, les conditions actuelles et prévues et d’autres facteurs appropriés dans les circonstances qui peuvent faire en sorte que les performances, perspectives, événements ou résultats réels diffèrent sensiblement de ceux exprimés dans, ou sous-entendus par, lesdits énoncés. Les lecteurs sont avisés de ne pas se fier indûment à ces énoncés prospectifs.
Abonnez-vous au bulletin et aux autres publications de Letko Brosseau :